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« Reculer l’âge de départ à la retraite serait profondément injuste »
Même si le virus est toujours là et que nous devons redoubler de précautions pour sortir de la crise sanitaire, les Français redécouvrent depuis quelques semaines le bonheur des moments partagés entre proches, et notre pays une embellie sur le plan économique. Cette heureuse perspective reste fragile. Elle repose sur notre capacité à nous tenir les uns auprès des autres après de longs mois de contraintes, certes indispensables sur le plan sanitaire, mais éreintants et anxiogènes.
C’est dans ce contexte encore plein d’incertitude que le président de la République envisage de reculer l’âge de départ à la retraite. Disons les choses telles qu’elles sont : en plus d’être en contradiction directe avec un engagement pris lors de la dernière élection présidentielle, cette perspective est profondément injuste. Une mesure d’âge frapperait en effet avec une acuité particulière les professions exposées à la pénibilité, celles-là même que nous avons applaudies à 20 heures pendant des mois : les personnels soignants, ceux des supermarchés, des établissements sanitaires et sociaux et des services d’aide à domicile, les ouvriers du bâtiment, de l’agroalimentaire, les livreurs, ou les agents de sécurité.
Aujourd’hui, une personne sur deux liquidant ses droits à la retraite se trouve sans emploi ou en arrêt maladie. Un ouvrier vit déjà en moyenne dix ans de moins en bonne santé qu’un cadre. Un report de l’âge légal de départ aggraverait en outre automatiquement la situation des futurs retraités ayant connu des carrières hachées et de petites rémunérations : de nombreuses femmes seraient ainsi particulièrement exposées, comme la plupart des travailleurs en situation de handicap.
Cette réforme interviendrait alors même que les plus fragiles d’entre nous ont déjà dû subir la refonte des aides au logement orchestrée par le gouvernement : 40% des bénéficiaires ont ainsi vu leur aide baisser depuis le 1er janvier dernier. Et cela sans compter avec la perspective d’une réforme de l’assurance chômage, temporairement suspendue par le Conseil d’État, qui fera baisser les allocations de plus de 1 million de bénéficiaires alors que la crise sociale est loin d’être derrière nous.
Indépendamment des positions de chacun sur ces réformes, quelque chose peut dès aujourd’hui faire l’objet d’un consensus national : l’impérieuse nécessité de ne pas replonger le pays dans un état de tension et de conflit qui menacerait inéluctablement son réveil. L’urgence, ce n’est pas de reporter l’âge de départ à la retraite au moment où le Conseil d’orientation des retraites vient de rappeler que l’équilibre économique de long terme du système n’était pas menacé. L’urgence, c’est de relancer durablement notre économie en l’adaptant aux grands défis du siècle et de réduire les inégalités sociales qui se sont creusées avec la crise.
À rebours de tout ce qui peut fracturer le pays, priorité absolue doit être donnée à la promotion d’un indispensable et salutaire climat de confiance et de concorde. C’est cette seule perspective qui doit nous guider aujourd’hui.
Anne Hidalgo